Tunisie

L'abominable géant qui croquait les pieds (extrait)

Il avait toujours vécu là, à l’est du Grand Erg, non loin de Chenini, dans cette région de la Tunisie où le djebel Dahar semble se dresser comme un rempart aux portes du désert. Tous les habitants du pays avaient entendu parler de Khalil, le géant, mais ils ne savaient pas pourquoi il était devenu si cruel. On l’appelait désormais l’abominable croqueur de pied.
Il était grand, il était gros, il sentait plutôt mauvais, même de très loin, et son effrayant grognement faisait trembler la terre. C’était là tout ce qu’on savait de l’abominable personnage, et personne n’avait envie d’en apprendre plus.
Enfin… presque personne.
— Pourquoi la lune est ronde, ou grignotée parfois ? D’où vient le vent ? Qui allume les étoiles ? Est-ce que les oiseaux dorment en volant ? Qu’est-ce qu’il y a derrière le ciel ?
Chaïma était une petite fille très curieuse qui voulait tout savoir sur le monde. Elle vivait avec ses parents sous une tente de toile sombre dans un campement des sables.
— Papa ? demanda-t-elle un soir. Pourquoi Khalil croque-t-il les pieds ?
— Sans doute parce qu’il a faim, lui répondit son père.
— Il pourrait manger autre chose, des galettes de mil ou des dattes. Ce n’est pas très gentil de croquer les doigts de pieds des gens, même lorsqu’on a faim.
— Khalil est un géant très méchant, lui fit remarquer son père.
Puis il ajouta :
— Allez, c’est l’heure de dormir.
A regret, la petite fille disparut sous la tente. Mais elle ressortit aussitôt la tête par l’ouverture de la toile :
— Et pourquoi est-il si méchant ?
— Parce qu’il a… un sale caractère, hésita son père. Va vite te coucher.
— Moi quand je suis contrariée, je mange des dattes.
— Chaïma ! appela sa mère, cesse de bavarder, il est tard !
Mais la fillette poursuivit :
— C’est si bon les dattes, si doux. On devrait lui en offrir, je suis sûre que ça le calmerait.
— Oui, oui, si tu veux, conclut son père qui commençait à perdre patience. Allez, va dormir maintenant.
Toute la nuit, Chaïma pensa à l’horrible géant. Le lendemain matin, sa décision était prise. Elle se leva avec le soleil, prépara un petit panier de dattes, et partit vers le Djebel Dahar à la recherche de l’abominable croqueur.

Copyright : Éphémère