Le Lys Noir - Le sanctuaire
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Le Lys Noir - Le Sanctuaire

Année de parution : 2023
Éditeur : Les Moutons Électriques - Collection Naos
ISBN : 978-2-36183-858-4

Le Mal règne en maître sur Bayence.
 
Dévastée par les redoutables assauts des hordes de moroïs, la ville n'est plus qu'un immense champ de ruines où chacun lutte pour sa propre survie.
La noblesse tremble derrière les remparts du palais des Luzes. Des compagnons des Gabiers aux miséreux de la Souille, les derniers survivants sont bien décidés à quitter cet enfer.
Même le Lys Noir semble se résigner au chaos.
 
Seuls les gitans réfugiés dans leur Sanctuaire tiennent encore tête aux morts-éveillés. Mais le grand arbre s'épuise à les protéger.
Combien de temps encore résistera-il aux puissances infernales ?
 
Le devenir du monde n'est-il pas de céder la place à cette nouvelle multitude, ces moroïs qui, comme les compagnons du Sanctuaire, ne cherchent qu'à survivre ?
 
Car ils sont légion.

Le Lys Noir - Le Sanctuaire

Année de parution : 2023
Éditeur : Les Moutons Électriques
Collection Naos
ISBN : 978-2-36183-858-4

Le Mal règne en maître sur Bayence.
 
Dévastée par les redoutables assauts des hordes de moroïs, la ville n'est plus qu'un immense champ de ruines où chacun lutte pour sa propre survie.
La noblesse tremble derrière les remparts du palais des Luzes. Des compagnons des Gabiers aux miséreux de la Souille, les derniers survivants sont bien décidés à quitter cet enfer.
Même le Lys Noir semble se résigner au chaos.
 
Seuls les gitans réfugiés dans leur Sanctuaire tiennent encore tête aux morts-éveillés. Mais le grand arbre s'épuise à les protéger.
Combien de temps encore résistera-il aux puissances infernales ?
 
Le devenir du monde n'est-il pas de céder la place à cette nouvelle multitude, ces moroïs qui, comme les compagnons du Sanctuaire, ne cherchent qu'à survivre ?
 
Car ils sont légion.

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Chapitre 1 (extrait)

— Angelina ! N’est-ce pas là un prénom magnifique ? lui murmura-t-elle avec tendresse.
Sa voix se révélait si mélodieuse que chacun de ses mots semblait fascinant. Allongé à ses côtés, un délicat sourire posé sur les lèvres, son compagnon la dévisageait d’un regard éperdu. Même le plus horrible des sobriquets aurait sonné comme un poème à ses oreilles émerveillées.
— Le prénom que tu lui choisiras se révélera le plus délicieux d’entre tous.
Les deux mains posées sur son ventre qui s’arrondissait, la future mère ferma les yeux, le visage épanoui.
— Et si c’est un garçon ? s’enquit-il soudain.
— Ce sera une fille, je le sais, répondit-elle sans même rouvrir les paupières.
La demeure resplendissait sous le soleil du printemps. Dans la chambre, les draps se montraient d’une blancheur irréprochable. L’eau tiédissait au fond d’une bassine de cuivre pendant que des piles de linge bouilli attendaient patiemment l’arrivée du médicastre.
Recroquevillée sur sa couche immaculée, la jeune femme avait passé une partie de la matinée à gémir, elle s’époumonait maintenant. Pourtant, la voix qui résonna brusquement à l’intérieur du logis n’avait rien d’une plainte.
— Qu’est-ce qu’il fiche ce charlatan, bon sang !
La gouvernante de la maison n’avait pas l’habitude de mâcher ses mots, surtout lorsque l’urgence la pressait. Depuis le lever du jour, elle s’activait de la cuisine à la chambre pour préparer au mieux la naissance à venir.
— On voit bien que ce n’est pas lui qui souffre ! s’exaspéra-t-elle en scrutant la cour désespérément vide.
Elle n’appréciait guère la coutume qui reléguait la douleur d’enfanter à un mal nécessaire, aussi dévala-t-elle précipitamment les marches lorsque la calèche du médecin se gara enfin devant le perron du logis. Muette comme une carpe, elle saisit fermement le bras du petit visiteur à la mallette qui descendait à peine du coche et l’entraîna sans ménagement jusqu’à l’étage. Le praticien tenta bien de s’insurger, mais il comprit vite que toute résistance serait vaine.
Assis sur le lit, plus livide que son épouse, le futur père semblait déconcerté par l’évènement.
— Je préfère que vous patientiez dans le vestibule, lui intima le médecin.
L’homme se leva lentement puis, d’une démarche traînante, sortit de la pièce sans même se retourner. Dès qu’il eut passé la porte, la gouvernante referma le battant derrière lui.
L’attente fut longue avant qu’elle ne reparaisse les bras chargés d’un ballotin de linge d’où émergeait le visage rouge et fripé du nouveau-né.
— C’est un garçon ! déclara-t-elle avec un sourire embarrassé.
Elle savait combien le jeune couple était persuadé qu’une fille illuminerait leur vie. Le père se figea, les bras ballants. Cette annonce lui faisait l’effet d’une estocade, c’est à peine s’il regardait le nourrisson dont les pleurs résonnaient déjà trop forts à ses tympans.
— Comment allons-nous l’appeler, ce petit cœur ? ajouta-t-elle pour le distraire de son tourment.
— Je ne sais pas...
Totalement désemparé, l’homme peinait à s’imaginer le cruel désarroi qu’avait dû ressentir sa compagne devant cette amère constatation. Le reste n’avait que peu d’importance.
— Mon épouse se porte-t-elle bien ? s’inquiéta-t-il aussitôt, sans chercher à choisir un quelconque prénom à l’enfant.
— Elle se repose. L’accouchement a été long et difficile, elle est épuisée.
La jeune femme ne se remit jamais vraiment de ce traumatisme. Hormis son père et son grand-père, elle n’avait jamais connu que des femmes dans sa famille. Donner vie à un garçon relevait presque du sacrilège. Malgré toute l’attention de son époux, elle demeura longtemps prostrée dans son lit, sans réaction.
Le jour où elle se résolut à quitter la chambre, chacun pensa qu’elle ne résisterait guère au charme de son bébé. C’était un adorable bambin. Au premier regard, elle le prendrait à coup sûr dans ses bras et le couvrirait de baisers pour satisfaire sa tendresse. Parvenue dans la pièce, elle s’approcha du berceau à pas comptés, se pencha au-dessus de l’enfant endormi et dégrafa consciencieusement les langes qui l’emmaillotaient avant de rester longuement immobile devant ce minuscule pénis tout rose qui l’accablait tant. Puis elle s’en repartit sans un mot, comme elle était venue.
Face au désintérêt de sa compagne, le père aurait pu compenser pour un temps ce manque d’affection, mais il n’avait jamais été très attiré par les nouveau-nés. Ces petits êtres baveux et braillards, toujours prêts à régurgiter leur pitance sur tout un chacun, ne lui inspiraient que méfiance et répulsion. Une nourrice se chargea donc d’élever l’enfant que ses parents délaissaient tout autant l’un que l’autre.
 
Les mois qui suivirent n’adoucirent en rien les sentiments que la jeune femme éprouvait pour son rejeton. Ce bébé qu’elle ne connaissait pas avait pris la place de sa fille dans son ventre. Ce n’était pas son fils, juste un usurpateur, un parasite, comme un coucou dans un nid. Cette indifférence se changea progressivement en dégoût, puis en rancœur jusqu’à ce qu’elle finisse par détester l’enfant. Il avait ruiné l’agréable existence qu’elle s’était promise, elle prendrait plaisir à tourmenter la sienne. Peu lui importait le prénom que son père lui avait donné, désormais, elle l’appellerait Croûte. Ce surnom ridicule lui siérait à merveille, il était comme une pustule dans sa vie.
Outre son mépris, elle se contenta les premières années de petits gestes perfides. Le pincement discret d’un bras jusqu’aux larmes, un battant de porte refermé sur de jeunes doigts innocents, ou quelques gouttes de la cire brûlante d’une bougie tombées par mégarde sur la peau rosée d’une cuisse. Au début, l’enfant, gémissait, sanglotait, hurlait sa peine, jusqu’à ce qu’il comprenne que sa mère se délectait de toute cette souffrance. Inutile de chercher un quelconque réconfort auprès de son père, cela faisait bien longtemps que l’homme avait cessé de s’occuper de cet insupportable gamin pleurnichard. Depuis qu’il était né, son épouse refusait sans concession de partager à nouveau sa couche, tant la crainte de concevoir un deuxième garçon la hantait. Il était hors de question que le marmot trouble plus encore l’alliance fragile qu’il entretenait avec elle. Jamais il ne s’interposerait pour défendre ce morveux qui ne lui avait apporté que tracas et déception depuis sa venue au monde. Cette naissance avait anéanti tous leurs projets de bonheur, aussi avait-il décidé de fermer les yeux sur les exactions de sa compagne et ménageait ainsi sa tranquillité familiale. Quant aux nourrices qui traversaient la vie du garçon, elles ne restaient jamais suffisamment longtemps pour qu’il puisse s’en faire des alliées bienveillantes.
 
Croûte devait avoir six ans à peine lorsqu’un matin il découvrit une ravissante boule de poils pelotonnée dans la paille du clapier qui s’adossait contre le mur du potager, au fond du jardin. L’animal avait des oreilles bien courtes pour un lapereau et son gazouillis ne ressemblait en rien aux cris aigus que poussaient ses congénères quand la cuisinière en attrapait un par surprise. Trop occupée ailleurs, sa mère l’avait sans doute oublié là. À moins qu’elle ne l’ait volontairement abandonné parce qu’il pleurait sans cesse. Ou peut-être était-elle morte sous les crocs d’un loup après tout, cela arrivait parfois. Quelle qu’en soit la raison, ce bébé était seul et il avait besoin qu’on le protège. Le garçon prit la peluche au creux de ses mains et s’empressa de lui trouver un abri. De ses vêtements chiffonnés au fond du dernier tiroir de la commode qui trônait dans sa chambre, il lui fit un nid douillet. Et après lui avoir proposé une rondelle de carotte, un croûton de pain sec et même un copeau de fromage, discrètement subtilisé à l’office, l’enfant comprit que le lait léché au bout de son doigt était le repas préféré du petit animal.
Le premier jour s’écoula sans encombre. Dès qu’il en avait l’occasion, Croûte filait dans sa chambre pour prendre soin de son protégé. Mais en son absence, enfermé dans le casier où il dormait, son compagnon ne pouvait guère retenir ses besoins très longtemps et en fin de journée une odeur quelque peu désagréable commença à envahir la pièce. À sa nourrice qui s’étonnait de cette puanteur, le garçon répondit qu’il avait mal au ventre. Un mensonge qu’il regretta bientôt lorsqu’il découvrit la soupe de rutabaga qu’elle lui servit pour tout dîner, mais il était trop tard pour inventer une autre excuse, il dut s’en accommoder. La délicate boule de poils passa la nuit à ronronner blottie dans son cou sans s’éveiller le moindre instant. Qu’il était agréable de sentir ce petit être plein de tendresse, serré contre lui, sans crainte ni méfiance !
Au matin, l’animal retourna dans son tiroir et la journée se déroula pareille à la veille. L’odeur devenait même supportable, ou peut-être que l’enfant s’y habituait, car sa nourrice, persuadée qu’il était toujours malade, ajouta des feuilles d’oseille amère dans son potage du soir. Mais Croûte s’en moquait, il aurait bien avalé du jus de sauterelle pour garder son ami à ses côtés. Jamais il n’avait éprouvé un tel bonheur. Les quelques jours qu’il vivait représentaient les plus charmants instants de sa courte existence. Cette douceur inconnue jusqu’alors, ce sentiment d’être aimé, toute l’affection qu’il partageait le comblait d’un plaisir intense. Cependant, il ne pouvait s’empêcher de penser que tous ces délices n’auraient qu’un temps. Malgré cet immense bien-être, l’ombre du désespoir ne tarderait guère à revenir le tourmenter.
La situation se compliqua le troisième jour. À son réveil, le dormeur s’aperçut que son compagnon nocturne avait disparu. Il n’y avait aucune trace de lui dans les replis des draps ni sous l’oreiller. D’un bond, il sauta du lit et s’accroupit au sol pour explorer la chambre. Soudain, le lourd rideau qui descendait jusqu’au plancher le long de la fenêtre frétilla. Les franges tressées autour du tissu brodé d’horribles fleurs roses s’avéraient particulièrement attrayantes pour l’acrobate.
Aussitôt rassuré, le garçon s’avança vers lui avant de s’immobiliser brusquement. Un petit boudin encore tiède s’était écrasé mollement sous son pied nu. Dégoûté, il plissa le visage en une affreuse grimace avant de relever la jambe dans un frisson pour se précipiter vers la commode en clopinant. D’un geste brusque, il ouvrit le premier tiroir et attrapa un linge au hasard qu’il chiffonna pour s’essuyer frénétiquement la peau, puis il s’agenouilla pour frotter vigoureusement le tissu souillé du tapis. Il avait beau le frictionner du mieux qu’il pouvait, les traces résistaient, tenaces, et les effluves plus encore. Même la brise qui s’engouffrait par la fenêtre grande ouverte ne parvenait pas à chasser ces relents nauséabonds. Comment les crottes d’une si petite créature pouvaient-elles émettre une aussi forte pestilence ?
La nourrice n’aurait pas pu choisir pire moment pour surgir. Sans doute préoccupée par les bruits inhabituels dans la chambre du jeune malade, elle grimpa les marches du plus vite qu’elle put pour se précipiter à son chevet. À voir le nez qu’elle retroussa sitôt entrée dans la pièce, l’odeur était insoutenable.
— Tu avais si mal au ventre que tu n’as pas pu te retenir ? lui demanda-t-elle à mi-voix pour éviter d’éveiller les foudres de la mère jamais bien loin.
— Mais ce n’est pas moi !
— Quel adorable chaton ! s’exclama-t-elle en découvrant soudain le petit intrus qui cabriolait maladroitement parmi les tresses du rideau.
En la voyant s’accroupir, le ravissant félin s’élança vers elle d’une démarche vacillante en poussant des petits miaulements suraigus.
— Comment est-il parvenu jusqu’ici ? s’écria-t-elle, étonnée.
Il était déjà trop tard lorsqu’elle s’aperçut qu’elle avait parlé trop fort. Brusquement figée, la bouche à demi ouverte, elle fixait Croûte qui la dévisageait en écarquillant les paupières. Comme la corde d’un arc qui se détend brusquement, ils sursautèrent lorsque la première marche de l’escalier craqua. Craignant la punition, l’enfant s’empara aussitôt du chaton et le glissa sous les draps avant de venir s’asseoir sur son lit sans rien laisser paraître. Il gardait l’espoir que sa nourrice ne le trahirait pas. Sa mère marchait encore dans le couloir quand sa voix aigrie résonna.
— Que se passe-t-il encore dans cette chambre ?

 
 
Copyright Ephémère / François Larzem